1er mandat – Du 27 mai 1896 au 20 mai 1900

Pourquoi donc faire débuter en 1896 cette recherche sur les élus du XXème siècle ?

Tout simplement parce qu’au ler janvier 1900, le Conseil municipal était déjà en place depuis près de 4 ans.  En effet, les précé­dentes élections municipales s’étaient déroulées les 3 et 10 mai 1896 et avaient vu le succès de Félix de COLLASSON (1), Pierre GORBINET (2), Jean DERIOT (3), Pierre MATHONIERE (4), Jean-Baptiste HERAUD (5), François HERAUD (6), Jean COURTIAL (7), Marien LACHAUD (8), François RAGON (9), Denis AUCLAIR (10), Antoine COURTIAL (11) et Gilbert VILLATTE (12).  Seuls les 3 derniers siégeaient pour la première fois au Conseil, tous les autres avaient déjà accompli un ou plusieurs mandats.

Le maire sortant Félix de COLLASSON, pour sa part, portait l’écharpe depuis mai 1890, à l’exception d’une brève période de quelques mois ( février à  avril 1891 ) durant la­quelle son adjoint Jean-Baptiste HERAUD avait rempli la fonction à titre provisoire. Eloignement de la commune, ennui de santé, problème personnel, rien n’indique la raison de ce court intérim.  De même, il ne nous est pas parvenu d’éléments laissant percer une quelconque mésentente à l’intérieur du Conseil au cours du précédent mandat.

On sait cependant que l’assemblée comptait des élus d’opinions différentes et issus de listes opposées.  Si, dans les petites communes rurales comme la nôtre, on ne pouvait pas vrai­ment parler de militantisme politique et d’engagement en faveur d’un parti, il n’en reste pas moins que selon les termes utilisés à cette époque, on distinguait les  » blancs « , plus ou moins conservateurs et liés à la classe possédante ou aux régisseurs de domaines et les  » rouges « , davantage tour­nés vers le changement, vers le progrès social et puisant essentiellement leurs forces parmi les métayers et surtout les domestiques agricoles, ces derniers encore fort nombreux puisque le machinisme n’avait pas encore entamé l’extraordinaire développement qu’il connaîtrait bientôt.  A Louroux, le Conseil comptait des élus des deux « couleurs ».

Il y a une quarantaine d’années, je me souviens avoir passé aux Vauvres des heures merveilleuses en compagnie du père MALOCHET qui était alors un des plus anciens de la commune.  C’était vraiment un conteur extraordinaire. Avec une mémoire infaillible, il savait me faire revivre ces années de la fin du XIXème siècle.  J’avais bien pris à l’époque quelques notes mais, maintenant, je regrette vivement de ne pas avoir recueilli davantage de témoignages et surtout de ne pas avoir disposé d’un magnétophone ou d’un caméscope.  Je comprends mieux maintenant le sens profond de ce proverbe africain qui dit que lorsqu’un vieillard meurt, c’est comme toute une bibliothèque qui brûle.

Né le 26 novembre 1890, Victor MALOCHET avait donc connu cette dernière décennie d’un siècle qui avait débuté dans ultimes soubresauts de la Révo­lution 1789 et la proclamation de l’Empire par Napoléon 1°.  Pendant que son épouse, Marie NICOLAS, la MALOCHETTE, apportait le litre de vin et nos deux verres, il me parlait des campagnes électorales où la bataille était rude et tous les coups permis.  Il se souvenait que plus d’un ouvrier agri­cole, le lendemain d’une élection, se voyait prier par son patron de cher­cher du travail ailleurs, sous prétexte qu’il avait « mal voté ».

Pourtant, une fois la fièvre électorale retombée, il semble qu’à LOU­ROUX, l’autorité du Maire était ensuite reconnue et sa gestion rarement mise en question.

Les décisions étaient généralement prises à l’unanimité et il était exceptionnel que les clivages politiques prennent le dessus. ­C’est ce qui arriva le 3 décembre 1893.  Le Conseil avait été convoqué pour élire 2 délégués chargés de représenter la commune lors de l’élection des Sénateurs de l’Allier pour le 7 janvier 1894.  Habituellement, et c’est encore le cas de nos jours, dans une telle circonstance, l’assemblée dési­gne à l’unanimité le Maire et son Adjoint. Or, ce jour-là, un conseiller, François RAGON, osa également faire acte de candidature.  Trois candidats pour deux places.  Si le Maire fut élu assez aisément avec 9 voix sur 12 votants, Jean-Baptiste HERAUD et François RAGON avec 6 voix chacun n’ob­tenaient pas les 7 voix indispensables pour atteindre la majorité absolue.

Un deuxième tour s’avéra nécessaire. Sans doute indécis, 3 conseillers ne purent se résoudre à choisir et votèrent blanc.  De ce fait, la majorité absolue descendit à cinq.  Surprise : avec 6 voix François RAGON fut pro­clamé élu alors que l’adjoint Jean-Baptiste HERAUD resta au tapis avec seu­lement 3 voix. Le 7 janvier suivant, un « blanc » et un « rouge », Félix de COLLASSON et François RAGON allèrent (ensemble ?) à Moulins pour voter les Sénateurs. LOUROUX venait, en quelque sorte, d’inventer la cohabitation !

Il n’est pas impossible que ce vote du 3 décembre 1893 ait pu ensuite laisser des traces dans les relations entre les membres du Conseil.

Tou­jours est-il que les 12 Conseillers nouvellement élus les 3 et 10 mai 1896 se retrouvent en mairie le dimanche 17 mai à 12 heures.  Sans surprise, Félix de COLLASSON est réélu maire en obtenant 11 voix, la douzième étant attribuée à Jean-Baptiste HERAUD.  Aussitôt après, ce dernier était à son tour réélu adjoint avec 7 suffrages mais François RAGON se révélait à nou­veau comme le chef de l’opposition en récupérant 4 voix.  Ses amis, à juste titre, pouvaient estimer qu’il triompherait un jour car il était jeune.  Un destin cruel empêchera la réalisation de cet espoir.

Le mandat pouvait donc débuter alors qu’au loin Pierre de COUBERTIN ve­nait de déclarer ouverts les 1° Jeux Olympiques modernes à Athènes.  Au Canada, c’était la ruée vers l’or, le tsar Nicolas II quittait Moscou pour venir en visite officielle à Paris.  Paris où un véhicule Panhard partait à Marseille et revenait dans la capitale en accomplissant cet aller-retour à la moyenne absolument incroyable de 25 km à l’heure.

Bien plus près de chez nous, Jean DORMOY devient le l° maire socialiste de Montluçon.  Il était dans la lignée de Christophe THIVRIER qui, élu député, se présenta à la Chambre vêtu de sa blouse d’ouvrier.  Scandalisés, les huissiers en habit lui barrèrent fermement le passage en lui intimant l’ordre de revêtir une tenue plus correcte.  A quoi notre Commentryen répondit : « Quand l’abbé LEMIRE posera sa soutane, quand le général GALLIFET ôtera son uniforme, je quitterai ma blouse… ».

Félix de COLLASSON était né en 1838 et demeurait au château de Civrais.  Avant lui, EUSTACHE, son père, et Félix, son grand-père avaient occupé la fonction de Maire de LOUROUX-HODEMENT.

 Mais, si Eustache n’avait accompli qu’un seul mandat (de mars 1871 à octobre 1876), par contre Félix en diri­geant la commune de juillet 1812 à septembre 1847, soit pendant 35 ans, détient le record.  En qualité de Maire, il aura reçu des instructions d’un empereur, Napoléon Ier, d’un roi, Louis XVIII, à nouveau de l’empereur Napo­léon Ier (les Cent-Jours), à nouveau de Louis XVIII puis des rois Charles X et Louis-Philippe.  Victime d’une chute provoquant la fracture du col du fémur, son âge avancé ne lui permit pas de bénéficier d’une technique chi­rurgicale balbutiante à l’époque. Il mourut à Moulins en 1930, il avait 92 ans.  Bel exemple de longévité mais son petit-fils Jacques a déjà fait beaucoup mieux et tout laisse à penser et à espérer que la commune aura le plaisir, en 2005, de fêter son premier centenaire.

Personnellement, je m’en réjouirai.  Pourtant, pratiquement, tout nous sépare : l’âge bien sûr mais également l’origine, l’éducation, la vie professionnelle, les opinions politiques.  N’empêche que, parfois, une estime réciproque arrive à dépasser les plus grandes différences et permet ainsi de faire s’apprécier récipro­quement celui qui croit au Ciel et celui qui n’y croit pas.

Tout au long de ce mandat, le monde va connaître une évolution rapide.  En 1897, Clément ADER réalise le l° vol avec un passager et l’Allemand Rudolf DIESEL invente un moteur alimenté par du gasoil.  En 1898, Emile ZOLA écrit « J’accuse » pour défendre le capitaine DREYFUS, Pierre et Marie CURIE découvrent le radium et MARCONI met au point la TSF.  En 1899, l’aspirine est mise en vente et le l° sous-marin est mis à l’eau.  Enfin, 1900 voit l’inau­guration de la l° ligne du métro parisien.

Moins ambitieux,  nos 12 conseil­lers de LOUROUX se contentent de mettre à l’étude un projet de construction d’un chemin vicinal qui porterait le N° 2.26 et, passant par La Palisse, relierait le bourg à la limite de la commune de Maillet sur une longueur de 2890,60 m. C’est la naissance de la future route de Maillet.  Le projet fait l’objet d’un emprunt de 4400 F pour débuter les travaux. Parallèlement, afin de réaliser des économies, le Conseil demande que le chemin vicinal de VENAS à GIVARLAIS soit classé dans la voirie départementale. Il obtint satisfaction à condition de procéder auparavant à sa mise en état de bonne viabilité, ce qui fut fait.

C’est également au cours de ce mandat  qu’à  la demande du curé DEMAY une croix fut élevée près de l’église, à l’entrée de l’allée, dans l’angle fait par le mur du cimetière.  La délibération date du 4 mars 1900. Cette croix est parfaitement visible sur certaines photos anciennes comme celles qui illustrent la couverture des bulletins munici­paux de 1996 et 1998. Est-ce celle qui a accompagné le transfert du cimetière ­à son emplacement actuel et qui donc se dresse maintenant au croisement des allées centrales ? Pas du tout car la croix actuelle est en métal ajouré et  ne supporte pas de Christ.  Elle date de la mission 1898. Ce n’est pas non plus celle qui est vers la bascule et qui était jadis à l’intérieur et non à l’extérieur de l’ancien cimetière. La croix érigée à la demande du curé DEMAY est restée longtemps à l’endroit cité par la délibération du 4 mars 1900.  D’ailleurs, une photo prise en 1941 prouve que cette année-là le socle était encore bien présent mais que la croix elle-même s’était déjà écroulée.  A quelle date ?  Merci à celui ou celle qui apportera la précision.

Dans les toutes dernières semaines du mandat, s’ouvrit à Paris la grande Exposition Universelle.

Les dépenses de voirie avaient lourdement pesé sur le budget communal et c’est la raison pour laquelle le Conseil informa le Préfet que les ressources ne permettaient pas de disposer des ressources nécessaires pour le pavoisement et l’illumination des édifices communaux le jour de l’inauguration de l’Exposition.  Désireux néanmoins de montrer sa bonne volonté (et surtout de ne pas mécontenter le Préfet ! ) réunie au tout dernier moment, le 13 avril 1900, l’assemblée décida « d’ar­borer le drapeau sur les bâtiments communaux le lendemain 14 avril !! Il était bien temps car l’Exposition avait été inaugurée par le Président Emile LOUBET …le 12 avril !

Quelques jours plus tard, nos concitoyens étaient invités à se rendre aux urnes les 6 et 13 mai 1900 afin d’élire un nouveau Conseil municipal.  Les sortants avaient semble-t-il bien travaillé, en particulier pour amélio­rer la voirie, secteur où ils ont fait porter tous leurs efforts.  Il est vrai que la mairie et les écoles venant juste d’être construites, les élus n’avaient pas eu à régler de gros problèmes immobiliers.

Quelques mots sur ces sortants.  J’ai évoqué le Maire.  L’Adjoint Jean-Baptiste HERAUD habitait 1 le gros domaine des Malochets, près d’un autre très gros domaine, celui des Treize-Vents.  Né à Maillet le 24 février 1842, il est décédé le 28 dé­cembre 1916.  Veuf de Jeanne LACOTE, il était remarié avec Marie PINEL.Nous le retrouverons dans les mandats suivants et il aura de nombreux démêlés y compris judiciaires avec la commune.  Pierre MATHONNIERE ne savait pas signer le registre des délibérations tout comme d’ailleurs Marien LACHAUX, cultivateur au Fournil et grand-père de Pierre LACHAUX.  Quant à Pierre GORBINET, il était surnommé le père CADET.  Jean DERIOT était maître maçon né en 1847 et marié avec Marie CASSIER.  Ils eurent 5 enfants.  L’un d’eux, Jean, Léon mourut en 1896 à l’âge de 17 ans.  Gilbert, né le 11 mars 1877 épousa Marie GRAILLOT le 23 septembre 1902 et décéda à Montluçon le 9 avril 1947.  Son fils Adolphe ( 14 avril 1921-21 avril 1960) eut un fils, Gérard. On aurait probablement fort surpris Jean DERIOT, le maître maçon si on lui avait prédit qu’il aurait un arrière-petit-fils Sénateur et Président du Conseil général de l’Allier.  Jean COURTIAL aura un fils du même prénom et qui sera percepteur à Huriel.  Son épouse, toujours vivante, est sans doute le dernier lien direct avec ce Conseil. Antoine COURTIAL était le père d’Yvonne CASSIER qui habitait la maison occupée maintenant par Marcel MENE­TRAUD.  Enfin, François RAGON dont j’ai déjà parlé. Né à Louroux le l° mars 1872, de Jean RAGON et de Marguerite GORBINET il épousa Marie MATHET.  Culti­vateur aux Doyards, il a marqué de son empreinte la vie communale bien que décédé dans la force de l’âge, le 31 décembre 1902.  Il avait 30 ans.  S’il ne fut jamais Maire, son gendre Albert COLLINET occupera plus tard la fonction de 1945 à 1971.  François RAGON était le grand-père de Suzanne et André COLLINET.

Ainsi s’achève la rapide évocation de ce premier mandat du XXème siècle.  Il y en aura donc 22 autres. Ce qui fait qu’à raison d’un mandat par bulletin municipal, il me faudra  » seulement  » 22 ans pour achever ce travail.  Alors, autant dire très honnêtement que… je ne vous promets rien du tout.

Michel LANORD